Bienvenue dans la Dose,
cette semaine j’écris depuis la maison dans laquelle j’ai emménagé il y a peu.
J’ai 32 ans, je vis à la campagne en colocation avec d’autres trentenaires et c’est exactement ce à quoi j’aspire dans la vie, faire foyer autrement. Tout comme faire corps ou faire relation autrement, dessiner des réalités autres que ce qui nous ait prédestiné. C’est là où je trouve du plaisir (beaucoup).
Si il y a une chose qui m’a vraiment été utile pour réussir à faire de la place à l’autrement, c’est apprendre à dire non.
Sans apprendre à dire non, j’aurai dit oui à tout. Cela veut probablement dire que j’aurai encore des douleurs physiques criantes du non qui s’acharneraient et très surement un accès au plaisir proche de zéro (thank god this is not my life anymore).
Le consentement, parce que dire non c’est en plein dans la culture du consentement, c’est un sujet primordiale dans le féminisme. On imagine toustes ce futur dans lequel on est autant capable de dire non que d’accueillir le non des autres, pourtant ça ne reste pas évident pour tout le monde ou pour toutes les situations.
Combien de fois nous arrive-t-il encore de n’avoir absolument aucune envie de faire quelque chose et de le faire quand même ?
Ou alors, pourquoi on ne peut s’empêcher de se plier d’excuses et d’explications pour justifier le fait que l’on ait osé dire non ?
Au fond, pourquoi est-ce que c’est si dur de dire non et qu’est-ce qu’on peut mettre en place pour co-créer cette culture du consentement vectrice de plaisir ?
👽 La chronique : “pourquoi c’est si dur de dire non”
Ma nièce a trois ans et elle m’impressionne sur un point, sa capacité à dire non. À partir du moment où elle a su parler explicitement, elle a su formulé des non clairs et précis. Quand elle dit non, ça vient du corps, ça se voit qu’elle sait qu’elle ne veut pas. Quand elle dit oui, elle est enjoué et ça se voit que son corps se réjouit de ce oui.
Ce qui m’impressionne c’est que, non seulement elle a la capacité de ressentir ce qu’il se passe en elle (son sens de l’intéroception est donc développé), elle a aussi la capacité de s’affirmer, d’oser dire non au risque de ne pas plaire à tout le monde.
D’aussi loin que je me souvienne, oser dire non à la base ça n’était pas trop dans mes cordes. Faire plaisir aux autres ça par contre ça l’était. Mon but n’était pas vraiment de savoir ce que je voulais ou non, mais plutôt de savoir ce que les autres voulaient pour pouvoir les satisfaire. Absolument pas durable comme stratégie de survie, on s’entend.
Une des premières fois dont je me souviens avoir osé dire non à une invitation qui ne me donnait pas envie c’était vers mes 14 ans. Mes amies avaient proposé de se voir un soir de weekend pour mater un film chez l’une d’elles. Je n’en avais pas du tout envie mais c’était hyper dur et pas du tout dans mes habitudes de refuser quelque chose. Cette fois je l’ai fait, de manière assez brute et maladroite par manque d’expérience. S’en ait suivi un grand moment de culpabilité et de pensées honteuses du type “pour qui je me prends, je suis une mauvaise personne”.
Cette histoire pourrait être anodine, sauf que lorsqu’on la regarde d’un point de vue systémique, elle ne l’est pas tant que ça.
La culture occidentale se base sur un système de domination. Certaines personnes ont le pouvoir de dire non, d'autre ont l'obligation de dire oui.
C'est aussi galère de dire non parce que ça n'est pas une question individuelle (les "quand on veut, on peut", svp arrêtez). C'est bien une question de distribution systémique du pouvoir.
Les groupes dominants ont le pouvoir de dire "non, vos corps et vos terres nous appartiennent". Les groupes dominés ont l'obligation de dire "oui, tout ce que vous voulez"
On nous apprend à prendre le pouvoir ou à le donner en fonction de notre place dans les rapports de domination
Et bien souvent, ces rapports nous poussent à mettre de côté nos envies, nos besoins et nos désirs pour le plaisir/pouvoir des autres. Lorsque l’on ose alors les ressentir et les affirmer, on peut avoir l’impression inconsciente de trahir un groupe et s’auto-proclamer mauvaise personne (et quand on a l’impression d’être une mauvaise personne, on est dans le spectre de la honte et ça fait très mal).
Dire non ça demande deux choses :
De pouvoir ressentir le non dans son corps
On a un sens qui s'appelle l'intéroception. Cela consiste à ressentir ce qui se passe en nous et il n'est jamais trop tard pour le développer.
Ressentir son corps ça veut dire ressentir tout ce qui y vit, tout son écosystème, tout ce qui est de l’ordre du confortable et de l’inconfortable.
Dur parce que ça veut dire rencontrer les traumas, les imperfections, les oppressions intériorisés, soit faire de la place à tout le spectre émotionnel.
Mais libérateur et juste car ça veut aussi dire faire de la place à tout ce qui fait de nous des êtres vivants (et pas des machines).Ressentir quand on n’a pas ou peu appris à le faire, ça n’est pas immédiat, ça demande de la pratique. On a besoin de temps, d’espace et de répétition pour que notre système nerveux se sente suffisemment safe pour ressentir et libérer.
J’en profite pour vous partager un document que je considère d’utilité publique par ici. Pour développer son intéroception, lire ses émotions et ses besoins. Si vous voulez plus d’explications ou de la mise en pratique, faites moi signe par retour de mail et je metterai un rendez-vous/atelier en place pour en parler ensemble.D’être capable d’exprimer le non librement
Ressentir c’est une chose, encore faut-il pouvoir l’exprimer. Rappelez-vous les rapports de domination, on est socialisé•e à dire non ou à dire oui. Donc le ressentir ET le dire ça s’apprend. C’est là que la pratique est importante et c’est ok de pas y arriver tout de suite, de le faire maladroitement ou même de faire des concessions.
Petite dose de non par petite dose de non on aggrandit sa zone de confort, plutôt que d’en sortir, et on fait de la place à des non plus grands. On acclimate notre système nerveux (un animal sauvage) qui à la longue va en faire une habitude.
Et là vous allez me dire, encore faut-il que la personne ou le groupe a qui on l’exprime soit dans la capacité de lui faire de la place et de le respecter.
Se positionner face aux systèmes, c’est PAS DU TOUT anodin.Cette partie c'est la plus dure parce qu'elle demande aux groupes dominants de lâcher des privilèges.
J'ai pas de solution ultime, tout le monde doit s'y mettre quelle que soit sa place dans les systèmes de domination. Par exemple en tant que personne blanche, j’ai des privilèges et c’est à moi de bosser dur pour faire de la place aux non des personnes racisées.
Je pense que les choses évoluent et que même les mecs les plus cis ont la capacité de se remettre en question, de mettre leur égo de côté et de s’amener de l’amour.
Petit aparté, le consentement étant une affaire collective et systémique, certains individus ne pourront jamais entendre et accepter le non des autres. Ça ne sert alors à rien de se battre pour se faire entendre à part s’épuiser et mettre sa survie en péril. Dans ces cas là, trouver de l’aide, partir ou mettre un terme à toute relation toxique, c’est la solution.
Il y a tout un tas de pistes que l’on peut explorer pour renverser la logique du non et faire plus de place à notre plaisir. Trois choses me semblent pratiques pour commencer :
• Demander la permission. Partir du principe que l’on a de droit sur personne, c’est faire de la place aux non et aux oui des autres (et à soi). Par exemple, “est-ce que c’est ok si je te donne mon avis ?”, “est-ce que c’est ok si je te touche ?", “est-ce que c’est ok de parler de ça ?”.
• Dire non quand c’est pas un grand oui. Parfois quand on ne sait pas trop si on a envie de faire ou dire quelque chose, c’est ni oui ni non. Dans ces cas là, on peut essayer la logique du big yes (ou orgasmic yes dixit adrienne maree brown) et se dire “si c’est pas un grand oui alors c’est non”. Cela nous permet de passer à autre chose plutôt que de touner autour et de laisser de la palce pour les choses qui nous donnent vraiment envie.
• Trouver un moyen de faire réparation quand besoin il y a. On a toustes un jour estimé sans questionner que l’autre était d’accord, ou que l’autre avait le choix et donc la possibilité d’exprimer un éventuel refus sans prendre en considération le poids systémique. Si aujourd’hui c’est possible de faire réparation, svp faites le. Cela peut être, tout en demandant l’accord, d’en parler avec une personne pour qui vous auriez abusé de son non. Ou bien d’agir collectivement pour que les choses changent réellement (les mecs, les personnes blanches, les privilégié•es c’est pour vous).
Dire non c’est dur car ça n’est pas une affaire individuelle.
On doit désapprendre collectivement pour créer une autre logique et pratiquer ensuite. En commençant par des choses simples, vraiment simples (“est-ce que c’est ok si je te donne mon avis”), on modèle un changement qui peut s’infuser dans d’autres sphères plus larges et, j’en suis sure, créer une justice du plaisir.
🐩 Les questions introspectives
Tu t’en doutes, les questions de la semaine sont en lien direct avec les pistes à explorer.
Pour répondre à ces questions, écris sans réfléchir ce qui vient sur un carnet ou feuille volante. Ne cherche pas à faire une belle réponse, un beau texte, le but c’est juste d’exprimer ta réflexion sur le sujet. Tu peux aussi y répondre seul•e à voix haute si tu as la flemme d’écrire. Have fun !
• Quelles sensations dans ton corps évoquent le non ? Penses à quelque chose qui ne te donne absolument pas envie si besoin. Par exemple, si c’est non, je me sens en fermeture, c’est plutôt froid, sans couleur/blanc, stagnant à l’intérieur de mon corps, voir ça me donne envie de tourner la tête, de faire un pas en arrière ou de dire “beurk”.
• Quelles sensations dans ton corps évoquent le oui ? Là tu peux aussi penser à quelque chose qui te donne envie, ou l’idée de voir une personne ou un être vivant avec qui tu adores passer du temps.
De mon côté, c’est pétillant dans mon corps, excitant, ça ouvre, c’est chaud, c’est coloré, ça me donne envie de danser, de sauter de joie, d’y aller en courant.
• Qu’est-ce que tu peux décider pour faire de la place aux non des autres ?
Tu peux reprendre les exemples cités plus haut. Je trouve que demander la permission pour des trucs hyper simples, par exemple “c’est ok si je te réponds en vocal”, c’est un bon début.
💦 Les recommandations
Trois recommandations pas forcément en lien avec le sujet du jour mais qui, je trouve, invitent à faire autrement :
Un épisode du documentaire la fabrique du mensonge : Affaire Johnny Depp/Amber Heard - La justice à l'épreuve des réseaux sociaux. Promis les deux autres recommandations sont beaucoup plus plaisir. On a toustes entendu parler de cette affaire, mais au fond, qu’est-ce que ça raconte systémiquement ? L’épisode est hyper bien fait, on comprend les dessous du procès, le rôle que les mascu youtube ont joué et en quoi c’est une sorte d’enterrement de #meetoo.
Un livre : Politiser le bien-être de Camille Test qui est sorti hier j’ai Binge Audio Editions. Un super livre autant pour les personnes qui sont dans l’accompagnement, que pour les militant•es ou les personnes qui ont juste envie de se sentir bien dans leur vie (tout le monde ?). Il se peut que l’on parle de mon travail dedans, ainsi qu’une grande partie de la famille du bien-être politique francophone.
Si tu es à Paris, ce soir il y a son lancement au merle moqueur avec Camille et Victoire Tuaillon qui dirige cette collection.
Un album : Let’s start here de Lil Yachty qui est bien parti pour être mon album 2023 tellement je ne m’en lasse pas. Une expérience sensorielle magique : l’écouter allongé•e dans l’herbe et juste laisser la musique te traverser (c’est aussi ça développer son sens de l’intéroception). Donne moi des nouvelles si tu l’écoutes, on peut monter un music club en dm !
Je vous laisse ici, je dis oui à vos retours si vous en avez. Si la Dose vous plait vous pouvez toujours la soutenir financièrement en optant pour la version payante (5€/mois).
D’ici 15 jours, prenez soin de vos non, écoutez vos grands oui et n’oubliez pas, vous faites déjà du mieux que vous pouvez.
Merci de m’avoir lu 💗
ps : vraiment écoutez l’album de Lil Yachty vous allez ressentir tellement de kiffe